Le Parlement de Loire

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L'environnement n'est pas une matière passive et inerte à la disposition d'usagers humains. Nous coexistons, interagissons avec le milieu naturel, nous faisons société avec notre milieu naturel : échanges nombreux et complexes, par exemple d'oxygène contre de l'azote. La Loire, le plus long fleuve de France, est qualifiée de dernier fleuve naturel ou sauvage d'Europe et pose de façon critique la question de son aménagement.

C'est que le fleuve Loire, comme écosystème, paraît avoir des intérêts propres, et l'on dira par métaphore qu'il communique avec nous, qu'il a ses colères, qu'il émet des signaux d'alerte : réactions au bouleversement climatique, baisse des débits naturels, inondations, évaporations accrues, taux excessifs de pesticides, baisse du nombre des poissons. Pourquoi serait-il donc impossible de porter la voix de ce « grand vivant » qu'est le fleuve Loire dans une assemblée qui entendrait prendre des décisions en associant le fleuve (citoyen d'honneur de la ville de Tours depuis 2024) en tant que sujet de droit ? Il s'agirait par là de nous ouvrir à la considération d'une souveraineté partagée avec les êtres naturels, et de comprendre comment la loi peut s'écrire, non pas dans un entre-soi des êtres humains, mais dans l'altérité de la nature et en l'assumant frontalement.

Depuis sa création en 2019, le Parlement de Loire – groupe pluriel et ouvert composé de scientifiques et de chercheurs, ainsi que de professionnels urbanistes, paysagistes, pêcheurs, bateliers, enfin d'artistes, d'élus et de riverains – a entrepris d'explorer ces problèmes d'aménagement du territoire, non plus du point de vue exclusif de l'humain, mais en prenant en compte également l'intérêt de l'écosystème Loire. À terme, il s'agirait d'inventer et d'écrire collectivement une déclaration des droits du fleuve qui aurait valeur juridique.

Mais comment une assemblée pourrait-elle se composer à la fois d'humains et de non-humains (faune, flore, composantes immatérielles et matérielles de ce vaste vivant qu'est l'écosystème Loire) ? Comment un fleuve pourrait-il avoir des intérêts ? Comment pourrait-il avoir le droit de plaider ? Ne sont-ce pas là des fictions absurdes ?

Le problème général que nous rencontrons ici est de savoir si l'on peut élever la nature au rang de sujet de droit, si l'on peut accorder une personnalité juridique à un fleuve, et comment. Car qu'est-ce que la personnalité juridique ? « Personne » vient d'un terme latin, persona, qui signifie « masque », le masque que revêt le comédien sur scène. Le droit reconnaît des personnes morales : entreprises, groupements d'actionnaires, associations, juridiquement responsables, sujets de droits.

À débattre 

  • Si le droit, comme processus de reconnaissance institutionnelle, élabore des fictions juridiques, qu'y aurait-t-il de déraisonnable à faire d'un milieu naturel vivant ou d'un écosystème un sujet de droit ?
  • Qu'est-ce qui nous interdirait de composer les souverainetés nationales avec la souveraineté d'un entrelacement d'êtres de nature et d'êtres de nature-culture (les êtres humains) ?

Sources

  • Christopher Stone, Les Arbres doivent-ils pouvoir plaider ?, 1972 - Recension par Barbara de Negroni in Cahiers philosophiques, n° 153, 208.
  • Maud Le Floc'h, Camille de Toledo, interviewées par Lisa Pignot, 2 novembre 2022, https://www.observatoire-culture.net
  • Bruno Latour, « Le parlement de Loire : quand le droit institue les colères du monde »
    https://www.youtube.com/watch?v=IvARvQvJGyg

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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